Elisabeth B. : Comment les calligraphes chinois préparent-ils cette émotion "fermentée à point" ?
SHI Bo : Chez nos anciens, aussi bien Wang Xizhi, Wang Wei, Tao Yuanming, Li Bai que Du Fu, Huai Su et Zhao Mengfu, le vin leur servait de ferment idéal !
A notre époque le bon thé remplace le plus souvent le vin. Quant à moi, avant de me lancer, je bois toujours plusieurs tasses de thé chaud dans le silence ; le thé chaud et le silence m’aident à trouver l’intuition et la bonne émotion esthétique.
A notre époque le bon thé remplace le plus souvent le vin. Quant à moi, avant de me lancer, je bois toujours plusieurs tasses de thé chaud dans le silence ; le thé chaud et le silence m’aident à trouver l’intuition et la bonne émotion esthétique.
Elisabeth B. : Je vous comprends parfaitement. D’ailleurs mon professeur de peinture dit souvent comme vous.
SHI Bo : Concrètement parlant, le premier critère de la beauté de l’œuvre calligraphique est de voir si la création est animée d’émotion (3). Regardant une belle œuvre avec recul, on peut sentir si elle diffuse ou transmet une forte sensation heureuse, plaisante ou apaisante. A ce moment-là on peut dire qu’elle est réussie.
Elisabeth B. : vous m’avez souvent dit cela. Mais comment peut-on atteindre ce niveau ?
La Beauté réside dans le mouvement !
SHI Bo : On peut atteindre ce niveau à travers de nombreux exercices sur la disposition de chaque trait et de chaque mot. Cela veut dire que l’expérience joue un rôle important . Plus ton pinceau est "âgé", mieux est cette disposition ! Par exemple lorsque tu traces un trait allongé avec exagération, ou bien un mot tout petit aux traits très fins ; tout cela est certes technique, mais ce procédé demande une ingénieuse conception calligraphique et aide beaucoup à donner à l’œuvre du mouvement, de l’énergie et de l’élégance.
Elisabeth B. : C’est ce que vous dites souvent : la beauté réside dans le mouvement
美出于动
SHI Bo : Tout à fait.
Et puis, la philosophie chinoise exige qu’une belle œuvre calligraphique soit absolument harmonieuse à tous points de vue : harmonie entre le noir de l’encre et le blanc du papier, entre les lignes elles-mêmes, entre le début et la fin, entre le haut et le bas, et surtout entre le mouvement et la stabilité des traits. Cette dernière harmonie est un grand sujet qui mérite un peu de développement.
Elisabeth B. : Je vous en prie.
SHI Bo : Les traits qui peuvent donner l’impression du mouvement sont des tracés tantôt vigoureux et épais, tantôt fins mais très sûrs. L’auteur les alterne savamment dans une même œuvre, sur une même colonne de mots, et surtout dans le même idéogramme ; cela éblouit le regard, on sent donc beaucoup de vibration dans l’art calligraphique, car cette alternance est riche en mouvements esthétiques.
Accordons maintenant un moment à ce phénomène technique dit en chinois feibai 飛白qui est abondamment et ingénieusement utilisé par nos grands maîtres de calligraphie. Je traduis ce concept feibai en français par :
« voltigement du blanc ».
Lorsqu’on dose bien la quantité d’encre retenue par les poils du pinceau, on peut réaliser de splendides voltigements du blanc dans l’encre noire posée sur le papier de riz.
飛白
Le mouvement calligraphique ainsi réalisé offre alors une très grande beauté, qui émeut et qui vibre forcément sur la corde émotionnelle du spectateur.
Cette vibration heureuse est vraiment très recherchée et particulièrement appréciée par les experts de calligraphie.
On apprend cette technique dans l'exercice d'une pratique inlassablement répétée.
"Paris ne s’est pas bâti en un seul jour !"
(à suivre...)