Il y a quelques années.....
j’ai signé un contrat avec un éditeur pour écrire et publier un livre sur l’apprentissage de la calligraphie chinoise. Prêt au bout d’un an de travail, le manuscrit n’a pu voir le jour, l’éditeur ayant disparu, absorbé par une grande maison d’édition.
Depuis, je laisse mon manuscrit dormir tranquillement dans mon ordinateur. Ces derniers temps, je reçois des demandes de conseil pour mieux apprendre la calligraphie chinoise, et cela me donne l’idée de
« réveiller » mon texte sur ce sujet. Réflexion faite, je décide donc de profiter de mon blog pour en publier certains chapitres au fur et à mesure.
Voici des extraits de ce livre intitulé « Au gré du pinceau » :
SHI BO
随筆翩翩
AU GRE DU PINCEAU
( Comprendre et apprendre la calligraphie chinoise )
1
Avant-propos
La pensée taoïste est basée sur un principe fondamental selon lequel notre univers existe grâce à la parfaite harmonie entre le yang et le yin.
Le taoïsme prône que l’est d’où monte le soleil est rempli du yang ; il doit, pour être équilibré, y avoir nécessairement autant de yin ; ce yin est constitué, dans la terminologie chinoise, par les Quatre Mers qui bordent l’est de l’Empire du Milieu. C’est pourquoi dans la philosophie chinoise l’eau est le symbole du yin.
Le taoïsme nous enseigne que l’ouest où descend notre soleil est plein de yin qui doit être équilibré par autant de yang. Toujours dans l’esprit chinois ce yang n’est autre que les hautes montagnes himalayennes bordant l’ouest de l’empire.
Dès lors dans la mentalité chinoise, l’eau équivaut au yin et la montagne, au yang.
L’immense territoire chinois est bordé à l’est par un équilibre entre le lever du soleil (yang) et les étendues infinies d’eau ( yin) et est nourri à l’ouest par un équilibre entre le coucher du soleil (yin) et les hautes montagnes (yang).
Ce qui est encore plus étonnant, c’est que cette étendue infinie du territoire mythique s’incline de l’ouest vers l’est et est arrosée par deux grands cours d’eau tout aussi mythiques : le fleuve Jaune au nord et le fleuve Bleu au sud. Ces deux Fleuves-Mère (母亲河 les Chinois les vénèrent ainsi) tirent tous deux leur source au fin fond du haut plateau tibétain et constituent les deux grands berceaux de la civilisation chinoise. Ils garantissent le parfait équilibre du grand cycle du yin-yang , établissant en fait un lien important entre les montagnes de l’ouest et les Quatre Mers de l’est.
Ce qui nous étonne ne s’arrête pas là, cet immense territoire est solidement fixé sur notre Terre, au centre et aux quatre points cardinaux, par Cinq Monts sacrés, ce qui a favorisé la conscience et le développement d’une pensée de l’Espace chez les anciens Chinois. Ils valorisent donc plutôt l’Espace qu’ils divisent, au détriment d’une pensée du Temps, en deux parties : le yin et le yang, qui sont partout en équilibre. D’où la notion de symétrie et la notion de dualité.
La théorie de la symétrie et celle de la dualité ont eu une influence primordiale dans la création des caractères chinois et notamment dans l’art calligraphique. En effet, la plupart des caractères chinois sont composés de deux parties, symétriquement disposées à gauche et à droite d’un axe. Tous ceux qui apprennent la calligraphie chinoise savent que l’axe du caractère est le garant de la beauté esthétique de cet art graphique et que le moindre écart par rapport à cet axe détruit l’équilibre de l’oeuvre, par conséquent son esthétique.
Les Chinois pensent aussi que tout espace est animé des Souffles Originels ,
( 元气 )
autrement dit des Souffles Suprêmes qui permettent, selon tout taoïste, de remonter à l’origine du Vide Originel...
( 元虚 )
à savoir l’Espace Originel d’où sont nées toutes les choses réelles, dit Lao Zi, auteur du fameux livre : Dao De Jing
(道德经)
...et père du taoïsme.
Animés de cette perception fondamentale de l’univers, les calligraphes chinois considèrent que chaque caractère calligraphié constitue un espace relié à l’Espace Originel ; par conséquent, chaque calligraphie doit avoir une vie liée aux Souffles Suprêmes. Ils cherchent donc inlassablement à insuffler à leur création, à travers diverses techniques du pinceau imbibé d’encre, des souffles esthétiques.
Comme les Souffles Suprêmes sont infiniment sublimes et totalement harmonieux, la calligraphie est un chemin de perfection artistique inlassable et inépuisable.
Telle est ma devise qui me guide depuis plus de soixante ans et qui me pousse toujours vers de nouveaux horizons esthétiques
Shi Bo
Printemps 2010
année du tigre
Relu août 2019
Année du cochon
Paris